Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/330

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Confessions, il n’est pas méchant, excepté pour Grimm et un peu pour madame d’Épinay). Il a quelquefois, il est vrai, des accès de méfiance, de susceptibilité ombrageuse : mais ses amis de la dernière heure le savent et le lui passent ; et toujours il leur revient. A l’ordinaire, c’est un homme simple, doux et résigné, un véritable sage, d’une sagesse passive, un peu à la manière d’un brahme. Thérèse, racontant sa mort, dira naïvement : « Si mon mari n’est pas un saint, qui est-ce qui le sera ? »

Et pourtant ce sage est un fou. Entre 1772 et 1776, ce sage emploie, de temps en temps, quelques heures à déposer dans des cahiers sa folie, ses visions de monomane qui se croit victime d’une conspiration universelle ; il écrit des Dialogues où un Français converse sur Jean-Jacques avec Rousseau qu’il ignore être Jean-Jacques ; et cela forme trois dialogues ; et cela s’étend sur cinq cent quarante pages, et c’est plein de redites et de rabâchages sinistres ; mais cela est souvent magnifique et tragique, et jamais Rousseau n’a été plus grand écrivain que dans certains passages de ces sombres divagations.

Elles n’étonnent pas trop, lorsqu’on a suivi sa correspondance, surtout depuis 1762. Il écrit, le 28 septembre 1762, à madame de Latour-Franqueville (la plus entêtée de ses fidèles) :

     Quiconque ne se passionne pas pour moi est indigne de moi…
     Quiconque ne m’aime pas à cause de mes livres est un fripon.