Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/339

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Il copie ses cinq cent quarante pages une troisième fois, cherche des mains sûres où il puisse les remettre, et n’en trouve pas. Il arrive alors à la résignation parfaite :

J’ai donc pris enfin mon parti tout à fait ; détaché de tout ce qui tient à la terre et des insensés jugements des hommes, je me résigne à être à jamais défiguré parmi eux… Ma félicité doit être d’un autre ordre ; ce n’est plus chez eux que je dois la chercher… Délivré même de l’inquiétude de l’espérance ici-bas, je ne vois plus de prise par laquelle ils puissent encore troubler le repos de mon cœur.

Il vit ainsi deux ans encore, rêvant, herborisant, copiant de la musique, — consolé un peu par quelques adorateurs patients. Mais ses maux physiques redoublent. Thérèse aussi tombe malade. Rousseau n’est pas assez riche pour payer une servante. Ses douze cents ou quatorze cents francs de rente viagère (car il varie sur le chiffre) et ce que lui rapportent ses copies, lui permettrait de se mettre en pension, avec Thérèse, dans quelque établissement décent. Mais ce serait trop simple. — Un peu auparavant, par un geste ordinaire aux monomanes de son espèce, il avait écrit et fait distribuer deux circulaires « au peuple français », l’une pour protester contre la falsification de ses livres par les libraires, l’autre pour proclamer son innocence et la scélératesse de ses ennemis. Il en rédige une troisième, où il expose sa détresse depuis la maladie de Thérèse et demande, pour lui et pour elle, le vivre et le