Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/355

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tiennent vraiment tout entier. Tout ce qu’on peut faire, c’est de chercher ses idées ou ses instincts dominants.

Mais où Jean-Jacques est le plus incontestablement nouveau, où il l’est avec plénitude, éclat et, je crois, bienfaisance, c’est dans le sentiment qu’il a de la nature (et, corollairement, de la vie simple et rustique) et dans les descriptions qu’il en fait. Oh ! je n’oublie pas les poètes antiques ni ceux de la Renaissance française, ni Théophile ou Tristan, ni madame de Sévigné ou La Fontaine. Je ne dis point qu’avant Rousseau nos pères fussent incapables d’être vivement touchés des aspects aimables de la terre. Mais ils ne s’appliquaient pas beaucoup à en jouir, et leurs sensations de cet ordre, même les plus vives, étaient notées par eux soit avec un extrême artifice (comme chez Théophile, si vous voulez) soit avec une extrême sobriété (comme chez La Fontaine) ; — jusqu’à ce que les champs, les bois, les montagnes et les lacs se fussent reflétés dans les yeux solitaires de Jean-Jacques.

C’est bien depuis Rousseau et à son exemple que nous nous sommes étudiés à percevoir, à goûter, à savourer les images diverses de la terre cultivée ou sauvage, et que nous avons voulu en jouir plus profondément. L’aspect général du roman et de la poésie lyrique en a été tout transformé. J’oserai presque dire que l’homme civilisé est, depuis Rousseau, plus ému par la terre qu’il ne l’avait été durant des milliers d’années.