Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/367

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en réalités, ils ne m’auraient pas suffi ; j’aurais imaginé, rêvé, désiré encore. Je trouvais en moi un vide inexplicable que rien n’aurait pu remplir, un certain élancement du cœur vers une autre sorte de jouissance dont je n’avais pas l’idée, et dont pourtant je sentais le besoin.

Qu’est-ce que tout cela, sinon l’éclatant portrait d’un poète lyrique — et d’un révolté ? (Et c’est par ce second trait qu’il a séduit beaucoup d’hommes, car la révolte plaît d’abord.)

Poète, grand poète, âme de désir, tempérament du même ordre que celui d’un Byron, d’un Léopardi ou d’un Musset, — mais dont la poésie tout individuelle s’est, par une série de hasards, principalement exercée sur des objets qui ne souffrent point la poésie, surtout celle-là, et qui veulent de l’observation et de la raison. Et ce qu’il y a de plus terrible, c’est que ces théories, qu’édifiaient son imagination et sa sensibilité servies par une brillante et décevante dialectique, ces théories qui devaient être si malfaisantes après lui, — de son propre aveu il n’y croyait pas au sens exact du mot : il les rêvait ; et c’est par des « chimères » dont il a confessé « le néant » qu’il devait ravager l’avenir.

Car ce n’est pas seulement le poète lyrique dont il trace le portrait dans ses Lettres à M. de Malesherbes : c’est encore, — avec le rêveur ivre et en-