Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/41

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dame de Warens les bénit tous deux, et que Jean-Jacques reste plein de respect pour Claude Anet ; ces pages où il ne cesse de parler de vertu, ces pages qui semblent une caricature anticipée et violente de l’histoire, beaucoup plus convenable, de Sand entre Musset et Pagello, nous paraissent aujourd’hui d’un énorme comique. Et sans doute, dans tout cela, Rousseau n’est qu’à demi responsable (nous remarquons souvent chez lui une étrange passivité), et sans doute le récit de la vie aux Charmettes, où s’est formé son esprit, est d’une neuve et franche saveur ; et je sais bien que Rousseau essaye à diverses reprises de gagner son pain ; que, lorsqu’il a touché son petit patrimoine, il en fait part à son amie, et que, à son troisième ou quatrième retour, quand il trouve sa place prise par le perruquier, madame de Warens lui proposant ingénument un nouveau ménage à trois (« Elle me dit que je n’y perdrais rien ») il n’accepte pas ce partage ; et je n’oublie pas enfin, que, quelques années après, quand la pauvre femme est totalement déchue, il lui envoie de Paris un peu d’argent : il n’en reste pas moins que le garçon a vécu, à peu près dix ans, presque uniquement de madame de Warens, qu’il était trop son obligé pour pouvoir ni se refuser à elle, ni exiger au moins d’elle la fidélité ; qu’ainsi son premier amour ne fut ni libre, ni fier, ni désintéressé, du moins dans les apparences ; — et que cela eut, sur sa conception de l’amour, des conséquences que nous noterons dans ses ouvrages.