Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/53

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soucier de Saint-Marc, du pont des Soupirs, des canaux et des gondoles. Visiblement, il est fier d’avoir été secrétaire d’ambassade (car il en faisait les fonctions), d’avoir un jour occupé un poste honorable, officiel, dans la société régulière. Écoutez le ton, l’accent :

Il était temps que je fusse une fois ce que le ciel, qui m’avait doué d’un heureux naturel, ce que l’éducation que j’avais reçu de la meilleure des femmes (madame de Warens avait peut-être été quelque peu agent diplomatique secret du roi de Sardaigne), ce que celle que je m’étais donné à moi-même m’avait fait être, et je le fus. Livré à moi seul, sans amis, sans conseils, sans expérience, en pays étranger, servant une nation étrangère, au milieu d’une foule de fripons qui, pour leur intérêt et pour écarter le scandale du bon exemple, me tentaient de les imiter : loin d’en rien faire, je servis bien la France, à qui je ne devais rien, et mieux l’ambassadeur, comme il était juste, en tout ce qui dépendait de moi. Irréprochable dans un poste assez en vue, je méritai, j’obtins l’estime de la République, celle de tous les ambassadeurs avec qui nous étions en correspondance, et l’affection de tous les Français établis à Venise.

Et il énumère ses services. Le ton, le sérieux, l’air de satisfaction profonde, rappellent Chateaubriand racontant son ambassade à Londres. (Combien Chateaubriand, ce fils aristocrate de Jean-Jacques, lui ressemble, c’est ce qui apparaît à mesure qu’on lit davantage l’un et l’autre.)

Mais, si nous en croyons Jean-Jacques, son patron M. de Montaigu était un homme grossier, avare,