Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/61

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tenait pas du tout à être le premier dans un cœur. — Et selon moi, c’est ce qui explique que la jalousie en amour soit absente de sa vie, et à peu près absente de son œuvre.

Thérèse était une ouvrière en linge, — une grisette, — ignorante et d’esprit fort simple :

Je voulus, dit-il, d’abord former son esprit ; j’y perdis ma peine… Son esprit est ce que l’a fait la nature ; la culture et les soins n’y prennent pas. Je ne rougis point d’avouer qu’elle n’a jamais bien su lire, quoiqu’elle écrivît passablement… Elle n’a jamais pu suivre l’ordre des douze mois de l’année, et ne connaît pas un seul chiffre, malgré tous les soins que j’ai pris pour les lui montrer. Elle ne sait ni compter l’argent, ni le prix d’aucune chose. Le mot qui lui vient en parlant est souvent l’opposé de celui qu’elle veut dire. Autrefois, j’avais fait un dictionnaire de ses phrases pour amuser madame de Luxembourg, et ses quiproquos sont devenus célèbres dans les sociétés où j’ai vécu.

Excellent, tout cela ! et c’est bien ce qu’il lui fallait. Il avait alors trente-trois ans. Or il nous dit qu’à partir de trente ans sa maladie s’aggrava. Il lui fallait une infirmière. Il lui fallait une femme qui lui fût inférieure socialement et de toutes façons ; une fille du peuple, et qui fût pauvre, et qui lui dût de la reconnaissance, et qui ne fît pas la délicate et la renchérie, et devant qui il n’eût pas honte de ses misères physiques ni de ses défaillances sexuelles, et qui lui donnât les soins les plus intimes. Et voilà pourquoi il choisit Thérèse.