Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

aupara- une complication de la conscience morale, un approfondissement de la tristesse et un enrichissement de la sensibilité. À supposer que saint Paul fût mort de sa chute sur le chemin de Damas ; que l’empire, complètement hellénisé, se fût peu à peu annexé les barbares au lieu d’être envahi par eux, et que les philosophes du second siècle fussent parvenus à tirer du polythéisme une religion universelle, et que cela eût marché ainsi deux mille ans (toutes hypothèses peu raisonnables), j’en serais bien fâché pour ma part ; car je suis persuadé, autant qu’on peut l’être de ces choses, que l’âme humaine ne serait point l’instrument rare et complet qu’elle est aujourd’hui. Le champ de nos souvenirs et de nos impressions serait infiniment plus pauvre. Il y a des combinaisons savantes et des nuances d’idées et de sentiments que nous ignorerions encore. Nous n’aurions point parmi nous, j’en ai peur, telle personne exquise que je pourrais nommer : « des épicuriens à l’imagination chrétienne[1] », comme Chateaubriand, ou des sceptiques pieux et des pessimistes gais comme M. Renan.

Non, non, il ne faut point maudire le moyen âge. C’est, par lui que s’est creusé le cœur et que s’est élargi le front de Pallas-Athènè, en sorte qu’elle « conçoit aujourd’hui plusieurs genres de beauté ». Et c’est le souvenir même du moyen âge et de son christianisme qui donne cette ardeur et à la fois ce

  1. Sainte-Beuve.