Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/197

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une petite pensionnaire ; elle souffre pendant vingt ans de ses infidélités comme une petite bourgeoise malheureuse en ménage : toujours blanche, toujours innocente et toujours amoureuse ; reine et brebis.

Et, pour faire contraste, voici la princesse palatine, échappée de son couvent, mariée par ambition, toujours endettée, fine, intrigante, allant de Mazarin à Condé et complotant avec Retz, manoeuvrant à l’aise dans l’eau trouble de la Fronde ; souverainement belle avec un sourire mystérieux ; débauchée, libre penseuse : je ne sais quel air d’aventurière, de princesse ruinée, de grande dame bohème, de Fédora, de Slave énigmatique et perverse longtemps avant l’invention du type. Et tout y est, même, à la suite d’un songe (toutes ces femmes-là croient aux songes), la conversion soudaine et absolue de la vieille pécheresse qui n’a plus rien à attendre des hommes…

Et voici, en regard, une tête correcte de haut fonctionnaire : Michel Le Tellier, esprit lucide, appliqué, adroit et souple, ayant l’art de faire croire au roi que c’est le roi qui fait tout ; intègre, mais établissant richement toute sa famille jusqu’aux petits-cousins ; froid, figé, impassible, mais pleurant de joie à son lit de mort parce que Dieu lui a laissé le temps de signer la révocation de l’édit de Nantes…

Enfin voici venir le héros violent à la tête d’aigle, le grand Condé. Avez-vous vu son buste au petit Musée de la Renaissance ? Un nez prodigieux, des yeux saillants, des joues creuses, une bouche tourmentée, vi-