Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/20

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entre le fond et la forme. Voici une constatation qui fera peut-être de la peine à M. de Banville ; mais c’est, en somme, transporté de l’épopée dans l’ode et beaucoup plus accentué, le comique du Lutrin. Si Boileau a qualifié son poème d’« héroï-comique », l’épithète de « lyrico-comiques » ne conviendrait pas mal aux Odes funambulesques.

L’effet est donc produit d’abord par ce sentiment de disproportion et de disconvenance générale ; mais il est vrai que, chez M. de Banville, il tient peut-être encore plus à la forme même, au rythme, à la rime, aux mots.

Il provient souvent d’hyperboles démesurées (comique élémentaire que goûtent et pratiquent même les petits enfants) :

  Le mur lui-même semble enrhumé du cerveau.
  Bocage a passé là[1]. L’Odéon, noir caveau,
      Dans ses vastes dodécaèdres
  Voit verdoyer la mousse. Aux fentes des pignons
  Pourrissent les lichens et les grands champignons,
      Bien plus robustes que des cèdres…


— ou d’une macédoine d’idées, d’images, de noms propres étonnés de se voir ensemble :

  Tobolsk, la rue aux Ours qui n’a pas de Philistes,
  L’enfer où pleureront les matérialistes,
  La Thrace aux vents glacés, les monts Himalaïa,
  L’hôtel des Haricots, Saint-Cloud, Batavia,

  1. « Les Turcs ont passé là. » (V. Hugo).