Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/231

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ment avec une véritable férocité, et qui m’étonne et m’afflige toujours. « Un mauvais arbre ne saurait porter de bons fruits » ; il ne sort pas de là : c’est un terrible justicier. Quelquefois seulement, par un souci des mœurs oratoires, on dirait qu’il cherche à envelopper sa sentence de formes courtoises ; ou bien il se dérobe, il refuse de dire ce qu’il pense, et mieux vaudrait alors pour le « prévenu » qu’il le dît crûment. C’est tout à fait le « Je ne dis pas cela » du Misanthrope. Et le rapprochement vient d’autant mieux que, comme Alceste mettait au-dessus de tout la chanson du roi Henri, M. Brunetière éprouve un sensible plaisir à exagérer ses principes, à leur donner un air de défi. Ce critique a, comme certains politiques, le goût de l’impopularité.

Un Nisard moins aimable, moins élégant, moins délicat, mais vigoureux, militant et autrement muni de science, d’idées, de raisons et d’esprit philosophique ; un orthodoxe audacieux et provocant comme un hérésiarque : voilà M. Brunetière.

Son style est très particulier. Il est, chose rare aujourd’hui, presque constamment périodique. La phrase ample, longue, savamment aménagée et équilibrée, exprime quelque chose de complet, présente à la fois l’idée principale et, dans les incidentes, tout ce qui l’explique, la renforce ou la modifie. Une seule de ces périodes contient tout ce que nous dirions en une demi-douzaine de petites phrases se modifiant et se complétant l’une l’autre. L’écrivain multiplie les