Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/269

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et emplir l’immeuble d’une chose déshonnête dont les murs gardent un malaise ». — « Dans les commencements, explique-t-il, ça se voyait à peine ; c’était possible ; je ne disais trop rien. Enfin, j’espérais qu’elle y mettrait de la discrétion. Ah bien ! oui. Je le surveillais, il poussait à vue d’œil, il me consternait par ses progrès rapides. Et regardez, regardez aujourd’hui ! Elle ne tente rien pour le contenir, elle le lâche… Une maison comme la nôtre affichée par un ventre pareil ! » Voilà des images et des fioritures assez inattendues sur les lèvres d’un portier. Étrange monde où les concierges parlent comme des poètes, et tous les autres comme des concierges !

Parcourez les Rougon-Macquart : vous trouverez dans presque tous les romans de M. Zola (et sûrement dans tous les derniers) quelque chose d’analogue à cette prodigieuse maison de la rue de Choiseul, quelque chose d’inanimé, forêt, mer, cabaret, magasin, qui sert de théâtre ou de centre au drame ; qui se met à vivre d’une vie surhumaine et terrible ; qui personnifie quelque force naturelle ou sociale supérieure aux individus et qui prend enfin des aspects de Bête monstrueuse, mangeuse d’âmes et mangeuse d’hommes. La Bête dans Nana, c’est Nana elle-même. Dans la Faute de l’abbé Mouret, la Bête, c’est le parc du Paradou, cette forêt fantastique où tout fleurit en même temps, où se mêlent toutes les odeurs, où sont ramassées toutes les puissances amoureuses de Cybèle, et qui, comme une divine et irrésistible