Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/162

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au-dessus. Et on peut le dire, je crois, même de Voltaire, tout compensé ; même de Rousseau, si l’on tient compte de sa maladie mentale. Mais voilà ! ce qu’on ne songe pas à reprocher au commun des mortels, soit parce qu’ils se cachent mieux ou que ce qu’ils font n’importe guère, on en fait un crime aux grands hommes : comme s’ils n’avaient pas droit à plus d’indulgence peut-être que nous ; comme si le génie ne s’accompagnait pas souvent d’une exaspération de la sensibilité, laquelle nous fait faire tant de sottises ! « On veut que le pauvre soit sans défaut ! » disait Figaro. De même de certains grands hommes ; et cela ferait honneur à ceux qui ont ces exigences, si ces mêmes censeurs ne passaient tout à d’autres grands hommes qu’ils trouvent plus à leur gré. Soyons équitables et doux pour tous les hommes de génie, et ne leur appliquons pas une mesure plus sévère qu’à nous-mêmes. Il faut avoir le cœur bien pur pour marchander son estime à Racine. Les hommes de génie n’ont pas tous été des saints ? « Mais les bourgeois en font bien d’autres ! » disait Flaubert en s’amusant ; et il prêtait aux personnages les plus bonasses et de l’aspect le plus grave et le plus insignifiant des mœurs ultra-orientales. Et il y avait peut-être un fond de vérité dans cette boutade facile. « Pour parler net, dit M. Deschanel, Racine avait la sensibilité d’imagination ; mais il semble avoir eu le cœur un peu sec[1]. » Ainsi, pour se mettre à l’aise

  1. I, p. 61.