Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/188

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qui se voient, des situations où nous pouvons, un beau jour, nous trouver impliqués. (Notons que la situation même d’Athalie, si elle ne peut aussi facilement se transposer, n’est pas extrêmement rare entre rois.) Il suit de là qu’il ne faut point un grand effort pour sympathiser avec les personnages de Racine, que nous nous sentons de plain-pied avec eux ; que c’est nous, mieux parlants et plus agités, que nous voyons souffrir et pleurer sous leur masque élégant et tragique. Ce sont nos passions possibles, sauf l’intensité et les conséquences extrêmes, que nous avons sous les yeux. Et les détails étranges et sanglants empruntés à l’histoire ou à la légende s’effacent ou n’ont plus qu’une valeur symbolique. On ne les prend plus au pied de la lettre, mais comme les signes d’une situation ; on les oublie presque pour ne s’attacher qu’à ce qu’il y a de tristement éternel et d’applicable à nous chétifs dans ces peintures typiques du drame des passions humaines.

L’œuvre si compliquée de Racine offre une autre contradiction apparente. « Nous avons sous les yeux, dit M. Deschanel[1], une Hermione bouleversée par toutes les tempêtes de l’amour, et cependant il semble qu’il y ait en elle un La Rochefoucauld pénétrant qui observe ces agitations et qui les démêle en les exprimant, pareil à cet artiste qui, dit-on, afin d’étudier la tempête sans être emporté par elle, se fit attacher

  1. I, p. 115.