Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/190

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serve et qu’on sait où elle vous conduit, la conscience parfaite et minutieuse dans le mal, dans le consentement à la passion funeste, n’est point rare chez les hommes extrêmement civilisés, à une époque où la sensibilité est plus fine, l’intelligence plus aiguisée et la volonté moins vigoureuse. Le désenchantement, fruit de la science, ne préserve point de la folie, ou même y pousse. On sait que l’on subit une force mauvaise, que l’on déchoit, que l’on se perd, et l’on ne s’en perd pas moins. Le rôle de Phèdre en est le plus remarquable exemple. Sauf la complaisance satanique dans le péché, qui est chose de nos jours et peut-être factice, c’est déjà l’état d’âme décrit par un poète qui a bien connu certains sentiments bizarres :

    Tête à tête, sombre et limpide,
    Qu’un cœur devenu son miroir !
    Puits de vérité, clair et noir,
    Où tremble une étoile livide,

    Un phare ironique, infernal,
    Flambeau des grâces sataniques,
    Soulagement et gloires uniques :
    La conscience dans le mal[1].

Pour ces raisons, le théâtre de Racine (toujours au rebours de celui de Corneille) nous laisse sous l’impression d’une fatalité inéluctable : il n’a rien d’« édifiant », rien d’un enseignement par la « morale en action ». On y sent sous la forme élégante la violence

  1. Baudelaire, Fleurs du mal.