Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/279

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Et rien ne nous montrerait mieux que cette critique étincelante et décevante la vanité de la critique, si toutefois nous avions l’ingénuité de la considérer comme une science.

Mais rien aussi ne nous montre mieux à quel point la critique littéraire peut être une chose exquise et comme elle peut égaler en intérêt et quelquefois dépasser les œuvres mêmes sur lesquelles elle s’exerce. La comédie que nous donnait toutes les semaines l’esprit de M. Weiss valait mieux, neuf fois sur dix, que les comédies dont il nous rendait compte. À l’antique définition : Ars homo additus naturæ, on pourrait ajouter : Critica scriptor additus scriptori, ou quelque chose d’approchant. Le lecteur jouit et de l’œuvre critiquée et de son critique. Il saisit un reflet du monde dans un esprit, et de cet esprit dans un autre. Il voit comment un homme qui a vu et rendu le réel d’une certaine façon est à son tour compris et traduit par un autre homme. Comme l’artiste crée ses personnages, le critique crée en quelque manière et façonne l’artiste qu’il définit. Et le critique peut être à son tour défini, façonné, inventé par un autre critique. Tout homme est un miroir conscient du monde et des autres hommes. Aucun de ces miroirs ne donne exactement la même image ; mais quelques-uns seulement en donnent une tout à fait originale et qu’on retient. L’esprit de M. J.-J. Weiss est au premier rang de ceux-là : c’est un des miroirs les plus inventifs de notre temps.