Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/254

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inconnu qui t’attirait ? » Elle répond : « Il ne m’attire ni ne m’effraye plus. J’ai eu la possibilité de le contempler, la liberté d’y pénétrer. C’est pourquoi j’ai pu y renoncer. »

Toutefois, dans le Canard sauvage, Ibsen nous montre que ce qui est bon pour l’élite ne l’est pas pour tous. Un rêveur, un apôtre croit rendre service à une famille qui vivait tranquillement dans un déshonneur inconscient, en lui révélant son ignominie, en essayant d’éveiller en elle la conscience morale : et cela n’aboutit qu’aux plus tristes et aux plus inutiles catastrophes. — Et, de même, dans Solness le constructeur, il nous fait voir l’orgueil intellectuel induisant un homme de génie à manquer de bonté, à faire souffrir tout autour de lui, et le poussant finalement à une mort ridicule et tragique.

Ainsi, — sauf dans deux ou trois pièces où il semble se défier de ses rêves et les railler, — les drames d’Ibsen sont des crises de conscience, des histoires de révolte et d’affranchissement, ou d’essais d’affranchissement moral.

Ce qu’il prêche, ou ce qu’il rêve, c’est l’amour de la vérité et la haine du mensonge. C’est quelquefois la revanche de la conception païenne de la vie contre la conception chrétienne, de la « joie de vivre », comme il l’appelle, contre la tristesse religieuse. C’est encore et surtout ce qu’on a appelé l’individualisme ; c’est la revendication des droits de la