Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/283

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

est aussi plus réellement désenchanté. Ces écrivains du Nord ne reculent point sans doute devant la peinture des souffrances, des cruautés, des misères humbles et abominables de la vie humaine, mais, on ne peut le nier, ils en atténuent, ils en esquivent certaines vilenies. Ils ne disent jamais tout. Vous ne trouverez jamais chez eux l’équivalent de telle page, je ne dis pas de M. Zola, mais de Flaubert ou de Maupassant. Ils peuvent bien nous montrer le monde infiniment triste et pitoyable : ils hésitent à le montrer simplement dégoûtant, ce qu’il est pourtant aussi, ne le pensez-vous pas ? Leur pessimisme n’est jamais aussi radical qu’ils le prétendent.

Cette pudeur, cette retenue, ce scrupule incurable s’expliquent encore par l’esprit religieux dont ils restent quand même imprégnés. Et ainsi nous aboutissons à ce truisme que les différences des littératures se rattachent aux différences profondes des peuples.

Les livres d’Eliot et d’Ibsen demeurent, en dépit de l’émancipation intellectuelle de ces écrivains, des livres protestants. Car, sortir par le libre examen, comme Ibsen et Eliot, d’une religion dont le libre examen est lui-même le fondement, ce n’est point proprement en sortir, c’est plutôt en développer et en épurer la doctrine. On ne secoue réellement que ce qui est réellement un joug ; on ne s’insurge à fond que contre une religion qui interdit toute liberté d’esprit. Les autres, on y peut demeurer en