Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/324

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astuce séraphique. Ne croyez-vous pas que Renan eût contresigné cette pensée : « Tâchez de raisonner largement. Il n’est pas nécessaire que la vérité se trouve exactement dans tous les mots, pourvu qu’elle soit dans la pensée et dans la phrase. Il est bon, en effet, qu’un raisonnement ait de la grâce : or, la grâce est incompatible avec une trop rigide précision. » Et cette autre : « L’histoire a besoin de lointain, comme la perspective. Les faits et les événements trop attestés ont, en quelque sorte, cessé d’être malléables. »

Il est plus platonicien que Platon. L’univers lui est, très exactement, un système de symboles, où il s’applique à saisir les correspondances du réel avec l’idéal, le reflet de Dieu sur les choses. Où manque ce reflet, il ferme les yeux. Il ne permet à la matière d’exister qu’en tant qu’elle traduit quelque chose de spirituel. En elle-même, elle le dégoûte. Aussi la réduit-il tant qu’il peut. Il ne lui reconnaît que l’épaisseur tout au plus d’une pelure d’oignon ; il fait du monde une prodigieuse baudruche. Cela, à la lettre : « Pour créer le monde, un grain de matière a suffi… Cette masse qui nous effraye n’est rien qu’un grain que l’Éternel a créé et mis en œuvre. Par sa ductilité, par les creux qu’il enferme et l’art de l’ouvrier, il offre, dans les décorations qui en sont sorties, une sorte d’immensité… En retirant son souffle à lui, le Créateur pourrait en désenfler le volume et le détruire aisément… »