Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/388

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vous que, si elle est philosophe dans ses propos, c’est qu’elle reçoit Paul Vence à sa table et qu’elle a de la mémoire ; que c’est un instinct secret qui lui fait trouver plaisir aux rues mal soignées et fortement odorantes où grouille de l’humanité en tas, et qu’enfin son absence de préjugés lui vient de son tempérament et de son hérédité, car elle est la fille d’un rapace.

Le cas de Jacques Dechartre est plus net. Il est vraiment, lui, un philosophe, un critique, un observateur et un descripteur sagace de ses propres mouvements. Il est capable d’une conception générale du monde, qui, en lui montrant l’insignifiance et la vanité de sa pauvre petite aventure personnelle, devrait la lui rendre inoffensive. Et, en même temps il est si habile à voir clair en lui, même à prévoir ses sentiments, que, les prévoir ainsi, c’est presque les prévenir. D’un bout à l’autre du livre, il se regarde aimer, et être fou, et être malheureux, et être méchant. Il n’a pas un instant d’illusion, ni sur l’espèce de son amour, ni sur ses conséquences probables. Même la première « déclaration », qui est d’ordinaire naïve, confiante, optimiste, Dechartre la fait avec âpreté, en termes inattendus, menaçants pour tous les deux, et qui, vers la fin, semblent commenter Darwin. Il dit à Thérèse qu’il l’aime « non avec de molles et vagues tendresses, mais dans une ardeur sèche et cruelle ». Il ajoute : « Si vous ne pouvez pas m’aimer, laissez-moi partir ; j’irai je ne sais où, vous