Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/393

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Les personnages secondaires sont peut-être, je l’ai indiqué, plus vivants que les protagonistes. Le poète Choulette est admirable. Vaniteux, ivrogne, plein de vices, naïf et pervers, il estime que sa vie de crapule contient déjà, au fond, les premiers linéaments de la vie évangélique selon le bon saint François. C’est Choulette qui est chargé d’exprimer les opinions particulièrement subversives de l’auteur, ses négations et ses révoltes les plus hardies.

Car M. Anatole France est maintenant quelque chose de plus que le tendre ironiste du Crime de Silvestre Bonnard. On a vu depuis quelques années croître magnifiquement ce que des théologiens appelleraient son esprit de malice et son impiété. Nous sommes un peu redevables de cette évolution au plus impérieux de nos critiques : c’est M. Brunetière qui, en morigénant M. France, l’a contraint à sortir, pour ainsi parler, tout le dix-huitième siècle qu’il avait dans le sang. Il est arrivé à M. France de défendre presque violemment, contre M. Brunetière, non l’infaillibilité de la science, mais le droit illimité de la recherche scientifique et de la libre spéculation. Les Opinions de Jérôme Cogniard sont assurément le plus radical bréviaire de scepticisme qui ait paru depuis Montaigne. Une saveur amère et forte est venue s’ajouter aux derniers livres de M. France.

Mais, en même temps que son scepticisme, — lequel, bien que confinant au nihilisme, n’excluait point une sensualité délicate et l’art de jouir de la