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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Aérienne, subtile et raffinée, la poésie de Baudelaire nous rappelle les riches scarabées des humides régions chaudes, cuirassés d’or et de vermillon, qui planent sur le miroir des eaux profondes, parmi les fleurs vireuses aux violentes couleurs et aux parfums troublants.

Ceux qui se hasardent dans ces fatales contrées y cheminent à pas inquiets, dans une atmosphère de malaria, insalubre pour les hommes, et n’en rapportent que des fièvres paludéennes.

Mais l’auteur avait parfaitement conscience de son état morbide ; aussi ses fleurs du mal sont-elles les bien-nommées, et devons-nous remercier ce grand malade aristocratique d’un nervosisme suraigu, qui, dans l’intervalle de ses crises, a su jouer d’un si merveilleux instrument.

Les œuvres de Baudelaire ont été publiées par M. Calmann Lévy.

André Lemoyne.



LES CHATS



Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ;
L’Erèbe les eût pris pour des coursiers funèbres,
S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;