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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


L’ALLÉE



Lallée était mystérieuse
Et se perdait dans le lointain ;
La solitude harmonieuse
Ruisselait des pleurs du matin,
Et, dans un rayon incertain,
L’or tremblait sous la voûte ombreuse.


Ils foulaient doucement les perles du gazon.
Elle fixait sur lui ses yeux mélancoliques,
Et tous deux, attirés vers le vague horizon,
S’enlaçaient comme font les lierres sympathiques,
Qui, dans leurs baisers fous, tuent l’arbre, leur amant.
Un éclair en ses yeux passa rapidement :
« Te souviens-tu, dit-elle, avec sa voix d’aurore,
De ce soir de novembre où seuls dans le salon
(Nos âmes étaient sœurs sans le savoir encore)
Nous regardions voler la neige en tourbillon ? »


L’allée était mystérieuse
Et se perdait dans le lointain ;
L’atmosphère voluptueuse
Enivrait l’insecte lutin,
Et plus d’une aile de satin
Jaillissait en clarté soyeuse.


Sombres, ils se glissaient au fond du palais vert :
« Te souviens-tu, dit-elle en lui livrant sa lèvre,
Du baiser que tu mis sur mon front découvert,
Et comme nos deux cœurs agités par la fièvre
Bondissaient follement en pressentant le ciel ?