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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Les montagnes au sud, par l’ombre atténuées,
Agrafent sur leur sein le manteau de nuées
Dont la splendeur du soir revêt leur nudité ;
Le vent passe embaumé de thym, de menthe et d’ambre,
Et, couronné de fruits, voici venir septembre
                  Aussi doux que l’été.

Les ménages charmants des pinsons, des mésanges
Emplissent les rameaux de murmures étranges,
Ivres comme au printemps de leur nouvel amour ;
Et le paysan las, sa bêche sur l’épaule,
Aiguillonne ses bœufs avec sa grande gaule
                  Pour hâter le retour.

Au village à présent chaque foyer scintille.
Le jeune homme est assis près de la jeune fille :
En souriant, leurs deux mères les ont laissés ;
Sous le regard de Dieu, seuls, ils restent ensemble.
Lui, le cœur palpitant, la contemple; elle, tremble,
                  Les yeux sur lui fixés.

L’obscurité pourtant aux flancs de la montagne
Descend d’un pied furtif et peu à peu les gagne ;
Quelques moments encore, ils ne se verront plus.
Dans le vallon pourtant une vapeur légère
Flotte et s’étend déjà des champs pleins de fougère
                  Aux sapins chevelus.

Ils se taisent toujours. Mais derrière eux, sur l’herbe,
Est-ce un jeu de la nuit nonchalante et superbe
Qui rapproche sans cesse et bientôt confondra
Leurs deux ombres en une, et de ses mains puissantes
Aura joint tout à fait leurs têtes rougissantes
                  Quand la lune viendra ?