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ÉMILE BERGERAT.


Et qui ne trouble pas ma paix intérieure.
Car la forme renaît plus jeune du tombeau,
Et l’ombre passagère où s’engloutit le Beau
Couve une éternité dans l’éclipse d’une heure.

Car la couleur charmante et mère des parfums
Rayonne inextinguible au fond des nuits funèbres,
Et sa splendeur de feu qu’exaltent les ténèbres
Emparadise encor les univers défunts.

Femme, recorde-moi ceci. Ma force vierge
Est éclose aux ardeurs brunes de tes beaux yeux :
Quand mon cœur sera mûr pour le sol des aïeux,
Notre amour sera clos. N’allume pas de cierge.

Le ciel restera sourd comme il reste béant.
Ô femme, écoute-moi, pas de terreur vulgaire !
Si l’âme est immortelle, il ne m’importe guère,
Et je ne me vends pas aux chances du néant.

Aucun joug n’a ployé ma nuque inasservie,
Et dans la liberté que lui fait sa vertu,
Voici l’homme qui s’est lui-même revêtu
Du pouvoir de juger et d’attester sa vie.

Hors de moi, je ne prends ni rêve ni conseil ;
N’arrachant du labeur que l’œuvre et non la tâche,
Je ne me promets point de récompense lâche
Pour le plaisir que j’ai de combattre au soleil.

Le limon, que son œuvre auguste divinise
Par son épouvantable enfantement, répond
Aux désirs surhumains de mon être fécond,
Et ma chair douloureuse avec lui fraternise.