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FRANÇOIS COPPÉE.

Terminait son office avec tranquillité.

Ce mauvais souvenir si présent m’est resté
Qu’en vous le racontant je crois tout revoir presque :
Le vieux couvent avec sa façade moresque,
Les grands cadavres bruns des moines, le soleil
Faisant sur les pavés fumer le sang vermeil,
Et, dans l’encadrement noir de la porte basse,
Ce prêtre et cet autel brillant comme une châsse,
Et nous autres cloués au sol, presque poltrons.

Certes ! j’étais alors un vrai sac à jurons,
Un impie ; et plus d’un encore se rappelle
Qu’on me vit une fois, au sac d’une chapelle,
Pour faire le gentil et le spirituel,
Allumer une pipe aux cierges de l’autel.
Déjà j’étais un vieux traîneur de sabretache ;
Et le pli que donnait ma lèvre à ma moustache
Annonçait un blasphème et n’était pas trompeur.
— Mais ce vieil homme était si blanc qu’il me fit peur.

« Feu ! » dit un officier.
                                     Nul ne bougea. Le prêtre
Entendit, à coup sûr, mais n’en fît rien paraître,
Et nous fit face avec son grand saint sacrement ;
Car sa messe en était arrivée au moment
Où le prêtre se tourne et bénit les fidèles.
Ses bras levés avaient une envergure d’ailes.
Et chacun recula, lorsque avec l’ostensoir
Il décrivit la croix dans l’air et qu’on put voir
Qu’il ne tremblait pas plus que devant les dévotes.
Et quand sa belle voix, psalmodiant les notes,