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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Un jugement de l’existence se dégage aussi à travers les notations de sentiments, de plaintes, de frissons, de cauchemars, — le jugement désolé d’un visionnaire hanté par le mystère de la vie et par l’irréparable de la mort. L’Abîme, publié en 1886 , a condensé cette observation et formulé cette prescience en des pièces concises dans lesquelles le poète a enclos sa triste expérience. Les idées, les passions, les intérêts, les vices, sont visiblement montrés dans une forte Lingue, apte à matérialiser les abstractions, S’il est permis d’essayer un terme descriptif à propos de métaphysique, on dira que ce livre singulier présente aux réfléchis et aux désenchantés une succession de paysages de l’âme.

Les œuvres de Rollinat ont été éditées par M. G. Charpentier.

Gustave Geffroy.


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LA LUNE




La lune a de lointains regards
Pour les maisons et les hangars
Qui tordent sous les vents hagards
          Leurs girouettes ;
Mais sa lueur fait des plongeons
Dans les marais peuplés d’ajoncs
Et flotte sur les vieux donjons
          Pleins de chouettes !

Elle fait miroiter les socs
Dans les champs, et nacre les rocs
Qui hérissent les monts, par blocs
          Infranchissables ;
Et ses chatoiements délicats
Près des gaves aux sourds fracas
Font luire de petits micas
          Parmi les sables !