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FRANÇOIS COPPÉE.



LE LISERON




Près de la vieille Egra, dans la Bohême noire,
Rude et sombre contrée à la sanglante histoire,
Le pâtre au voyageur désigne encor du doigt
Un très ancien moutier des sœurs de Saint-Benoît,
Écroulé sous l’assaut des lierres parasites.

Du temps que Sigismond fit contre les Hussites
L’épouvantable guerre où tant de sang coula,
Cette maison avait pour abbesse Thécla,
Qu’on honore à présent comme une bienheureuse.
Fleur délicate éclose en cette époque affreuse,
Thécla, dès sa première enfance, avait été
Un modèle d’ardente et douce charité.
Au ciel noir de ce temps on voyait cette étoile.
Noble et belle, elle avait à vingt ans pris le voile
Et portait le bâton pastoral et l’anneau
Comme saint Dominique et comme saint Bruno.
Trouvant toute faiblesse aux autres naturelle,
Eile n’était jamais assez dure pour elle,
Voulait qu’on l’éveillât dans son premier sommeil
Et portait sur la chair un cilice pareil
À la robe de crin des vieux anachorètes.
Mais ces austérités qu’elle tenait secrètes
Et que lui reprochait parfois son confesseur,
N’altéraient point l’exquise et charmante douceur
De son commandement sur ses bénédictines.
Goûtant la poésie et les lettres latines,
Elle expliquait le sens des textes les moins clairs,
Au grand étonnement des lettrés et des clercs.