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ALBERT DELPIT.


LA CHANSON DES ROUTIERS


En route, en route,
Faisons gaîment le dur chemin !
Nos lances que l’Anglais redoute
Sont au repos jusqu’à demain !
En route, en route !
Nous ne voulons pas d’autre joute,
Qu’avec les pâtés dans leur croûte
Plus dure qu’un vieux parchemin !
En route, en route !

C’est ainsi que chantaient les hardis compagnons
Qui s’en allaient combattre Anglais et Bourguignons.
Tous ceux que le pillage ou la bataille entraîne
Franchissaient, nuit et jour, les marches de Lorraine ;
Routiers, archers de Flandre au buffle en cuir noirci,
Francmuseaux, qui jamais ne demandaient merci ;
Et les vieux chevaliers de la première guerre,
Ceux-là que les Anglais avaient battus naguère,
Les rudes compagnons de monsieur Duguesclin ;
Et tous ceux qui voyant la France à son déclin,
Prête à choir, comme un fruit dont la chair est trop mûre,
Avaient pour la sauver réendossé l’armure.
Dans le pays, glacé du cœur jusqu’au cerveau,
C’était l’éclosion d’un sentiment nouveau :
Un espoir encor vague illuminait les âmes;
Et tous, nobles, vilains, vieillards, enfants et femmes,
Aimaient mieux de leurs mains se creuser des tombeaux
Que de voir le pays s’en aller par lambeaux.