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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


LE CHIEN



Je veux être ardemment aimé : je prendrai donc
L’être glorifié pour l’immense abandon
De lui-même, le chien ! Mon tendre patronage
L’abritera pendant les périls du jeune âge,
Et sa maturité solide aura des crocs
À moi, bien établis, fermes comme les rocs.
Je comprendrai les mots de sa queue expressive,
Tout ce que me dira sa belle âme naïve,
Ses yeux humains, mais si loyaux ! Je l’aimerai
Jusqu’à cet âge où, las, le poil décoloré,
L’œil mort, le museau lourd, sans flair et sans adresse,
Son vieux souffle n’est plus qu’un soupir de tendresse.

Que je meure avant lui, surtout ! Et je me voi
Après ma fin, pendant qu’on règle mon convoi :
Le décent corbillard des personnes à l’aise
Me portera demain vers le Père-Lachaise ;
L’ordonnateur, qui parle avec un geste en rond,
Sur le seuil de la pièce où mes amis seront
Conviera, claque en main, l’assistance marrie,
Suivant toutes les lois de la géométrie
Funéraire. Oh ! le bel enterrement correct !
Déjà mon lit de mort n’a plus mauvais aspect ;
Sur moi l’on a jeté des fleurs, et, dans la chambre,
Des cierges bien placés versent leurs larmes d’ambre ;
Une femme éplorée et prostrée, et les bras
Abandonnés, se tient et rêve, le front bas,
Telles sont dans les parcs les plaintives statues,
Dont l’eau du ciel emplit les paupières battues,