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FRANÇOIS COPPÉE.

Fuyaient sur le bassin ridé par un vent frais,
Pour moi ces bricks mignons et ces frégates naines
Évoquaient l’Océan et les courses lointaines.
Ah ! depuis ce temps-là, j’ai revu bien souvent
L’escadre en miniature enfuie au gré du vent,
Et bien souvent revu les belles dames blanches
Dressant leurs sveltes corps sous l’épaisseur des branches ;
Mais je sais maintenant combien il est amer
De chérir une femme et de tenter la mer,
Et songe que c’était un grand enfantillage
De désirer ainsi l’amour et le voyage !

L’amour ! ce fut aussi sous tes rameaux flottants,
Jardin chéri, que j’ai tant souffert à vingt ans.
T’en souviens-tu, vieux banc sur qui j’allais l’attendre,
La petite blondine au regard fin et tendre
Par qui mon cœur naïf voulait se croire aimé ?
Quand je passe par là, dans certains jours de mai
Où l’haleine des fleurs semble plus odorante,
Je revis les bons jours de notre idylle errante.
J’habitais en famille, elle avait un jaloux,
Et souvent pour abris, vieux parc, ces rendez-vous,
Où l’amour me brûlait de ses ardeurs premières,
N’eurent que tes lilas et tes roses trémières.
Je n’obtenais, toujours au moindre bruit craintif,
Qu’une rapide étreinte et qu’un baiser furtif.
Pour effleurer son front de ma bouche affolée,
Il fallait profiter du tournant d’une allée
Et reprendre aussitôt l’air distrait et flâneur
Devant le vieux gardien avec sa croix d’honneur.
Mais nous avions vingt ans, et c’était une fête !
Et cette éternité d’amour que le Prophète
Promet aux vrais croyants au sein du paradis,
Oui, je la donnerais toute, je vous le dis,