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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Du colossal amas des roches étagées
Par strates, au caillou blanc ou bleu qui sourit
Sous l’eau claire, pareil aux plus fines dragées,
Mon regard vous connaît et mon cœur vous chérit ;

Car, vêtus de soleil ou noyés de ténèbres,
Vous seuls m’avez versé la consolation
Chaque fois que je vins, dans mes heures funèbres,
Oublier parmi vous l’humaine abjection.

Je n’ai jamais quitté votre retraite austère
Sans qu’un pleur filial n’humectât mes adieux,
Ô rocs qui résistez, quand tout pourrit sur terre ;
Et je salue en vous mes maîtres et mes dieux !


(Pics et Vallées)


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LES BOIS




Bois profonds et pensifs, pleins d’ombre et de mystère,
Temples illimités du culte universel,
Où l’arbre, murmurant les hymnes de la Terre,
A, dans l’encens des rieurs, la roche pour missel…

Ouvrez-vous, accueillez sous vos vivants portiques
Un frère du sapin, du chêne et du bouleau ;
Mêlez, pour en former d’ineffables cantiques,
Votre vague rumeur aux frais soupirs de l’eau.

Par d’antiques rameaux, que nul siècle n’émonde,
Au sein des frondaisons mille nids sont bercés ;
Ô vénérables bois ! l’âme éparse du Monde
Semble frémir en vous lorsque vous bruissez.