Page:Lemonnier - Félicien Rops, l’homme et l’artiste.djvu/258

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Toute une juiverie de Shylocks, en le rémunérant de quelques louis intermittents, s’appâta des morceaux de sa chair spirituelle. Lui, prodigue de son génie comme de son cœur et de tout, consentait à leur véreuse industrie et donnait sans compter. Il y eut ainsi toute une part de son labeur et de son existence qui s’en alla aux crocs des exploiteurs. Il fut vraiment l’Enfant prodigue de sa propre destinée ; à poignées il la semait par toutes les routes du caprice et de l’aventure, munificent comme un grand seigneur qui ne doit pas arriver au bout de ses trésors et dénué parfois jusqu’à la besace.

Rops ne pouvait résister au don de lui-même ; il se donnait à la vie telle qu’elle lui venait ; il donna des morceaux de son art, non seulement à ceux qui les lui payaient, mais à tous ceux qui lui en demandaient et même ne lui en demandaient pas. Que d’histoires de modèles qu’il désintéressait par l’offre d’un dessin, d’amies pour lesquelles il gravait des lettrines, des têtes de lettres, des devises, des attributs, de légères et galantes armoiries guirlandées de vols d’amour et de papillons sous des cœurs de roses épanouies comme des lèvres ! Tout le monde ambitionna ses menus et en obtint. Il dépensa la plus spirituelle fantaisie en dessins de firmes, d’enseignes, d’estampilles. Il multiplia les frontispices et ce qu’il appela les culispices. Il fut l’inépuisable vigne qu’à menus et à gros coups de bec, les moinelles grignoteuses et les grands merles pilleurs s’en donnaient à cœur joie de grappiller. Le grand Fely fermait les yeux et souriait comme le faune butiné par les baisers de la bacchante.

Tous ni toutes n’eurent pas la piété du beau trophée qui se garde en reconnaissance d’un aimable abandon. Les mains s’ouvrirent, les écrins se vidèrent et par le monde se colportèrent des essais de « collections complètes » qui d’ailleurs ne furent presque toujours que des commencements. La vente naturellement se ressentait de la dispersion de l’œuvre.

À la bourse des valeurs d’art, l’artiste avait une cote irrégulière. On savait que ses prix dépendaient de la circonstance. Même les collectionneurs sérieux,