Page:Lemonnier - Gros, Laurens.djvu/121

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chacune de ses œuvres, il introduit un esprit ; il subordonne la composition au choix du « moment », il dirige la gesticulation des acteurs vers l’effet général, en même temps qu’il lui fait exprimer la situation morale ou la passion du personnage.

Delacroix l’a très bien vu et, lui aussi, il a jugé Gros en véritable classique : « Le Champ de bataille d’Eylau est la troisième des grandes pages épiques de ce grand artiste et l’une de celles qui le recommandent le plus à l’admiration. On y trouve, comme dans la Peste de Jaffa et le Combat d’Aboukir, la même puissance d’idéalisation et cet art admirable, qui n’est connu que des maîtres, de pousser aussi loin que possible l’effet résultant de la donnée même du tableau (c’est presque du Diderot)… Cette peinture si large, si bien inspirée, ces effets de contraste, ces tons mélancoliques et tristes comme le sujet impriment un sentiment profond de vive émotion et d’admiration sublime dans l’âme des spectateurs. »

Mais Gros est aussi un réaliste. Non seulement parce que, dans Jaffa, dans Aboukir, dans Eylau, il a fait figurer des portraits frappants de ressemblance, mais parce que ses figures, même anonymes, ont le plus souvent un accent d’individualité saisissant. Qu’on examine dans les Pestiférés le soldat dont Bonaparte touche la plaie : visage rude et inculte, geste qui fait le salut militaire, c’est le grognard du temps pris sur le vif. À côté de cet accent individuel, il faut noter l’accent ethnographique, comme on l’a fait remarquer. Le premier peut-