Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/20

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la physionomie ; sa mère était morte en lui donnant la vie. Le sourire et le regard maternels n’avaient pas éclairé son berceau.

Ce jour-là, le comte avait passé la matinée à tuer des lapins entre Ravenoville et Saint-Marcouf, dans un pays accidenté dont les vieilles futaies dominent les hauteurs et regardent de fort loin moutonner la grande nappe bleue de la mer, étalée magnifiquement depuis la pointe de la Hougue jusqu’aux grèves amoncelées de la Vire. « Une guerre aux lapins, se disait-il, saint Hubert me pardonne ! je suis honteux d’un massacre pareil. Et tout n’est pas détruit. Deux ou trois qu’on oublie en donnent presque un millier l’an après. Quelle fécondité chez ces aimables rongeurs, dans l’insondable mystère de leurs profonds labyrinthes ! On parle de la Vénus marine, et la Vénus souterraine, qu’en dira-t-on ?… mais je me sens quelque raideur au jarret ; » et le chasseur s’allongea, parallèle à son arme, dans l’ombre d’un vieux chêne, en aspirant à petites bouffées un long havane craquant sec, dont il appréciait la valeur, tandis qu’un rossignol tout frais arrivé de la veille inaugurait à plein gosier les premières aubades du printemps.

Accoudé nonchalamment sur un talus de mousse, le comte se prit d’abord à rêver, le regard perdu tout au fond de ces longues avenues