Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/259

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

chose d’étrange, de féerique et de légendaire. On ne voyait jamais personne au fond des avenues, mais parfois deux sveltes amoureux, en robe fauve et lustrée, un chevreuil et sa chevrette, venus en curieux jusqu’au bord des anciennes douves, vous regardaient passer de leurs grands yeux naïfs, aussi tranquilles dans ce vieux parc oublié que sous les hautes futaies de la Belle au bois dormant.

Il existait pourtant dans la contrée un comte de Rhuys, de la vraie souche des anciens maîtres féodaux, mais ces ruines ne lui appartenaient pas, et jamais il n’avait pu racheter ces précieux souvenirs de famille.

C’était d’ailleurs un singulier personnage : A vingt-trois ans, après avoir achevé son droit à Rennes et commencé sa première année de stage à Paris, il ne put voir longtemps la majorité de ses collègues plaider le pour et le contre avec la plus scandaleuse indifférence : « Décidément, pensa-t-il, je ne veux pas vivre d’un métier pareil. »

Avec son intelligence et son nom, il eût pu prétendre à une position fort enviable dans la magistrature, mais à la condition d’être rivé du matin au soir sur le même siège, pour n’assister, en définitive, qu’au désolant spectacle de nos infirmités morales : cette honorable immobilité ne souriait pas à sa vive et franche nature