Page:Lemoyne - Poésies - 1873.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Ceux qui gardent le feu, les veilleurs invisibles,
Par les gros temps d’hiver ont des heures terribles :
Sur un roc, détaché du monde des vivants,
Où le nuage pleure, où le flot se lamente. —
Les phares sont debout au cœur de la tourmente,
Dans l’aveugle chaos des lames et des vents.

Il faut avoir le pied marin par intervalles :
Leurs tiges de granit, sous le fouet des rafales,
Oscillent brusquement comme de longs roseaux.
Il semble que parfois la tour déracinée,
Par la rage du vent tout d’un bloc entraînée,
Comme un arbre arraché disparaît dans les eaux.

Mais le phare est solide et tient bon. — L’homme veille !
Tous les bruits de la mer ont usé son oreille.
Il n’entend pas les cris d’oiseaux tourbillonnants,
Hors d’haleine, accourus dans un vol de tempête,
Affolés de lumière à se briser la tête
Aux grands vitrages clairs de ces feux rayonnants.

Comme il ne peut rien voir, il ne peut rien entendre ;
Mais l’oreille est au cœur. — Il croit, à s’y méprendre,
Reconnaître des voix dans le flot déferlant…