Page:Lens - Derrière les vieux murs en ruines, roman marocain, 1922.djvu/166

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
161
derrière les vieux murs en ruines

— Quel est ton état ?

— Il n’y a pas de mal sur toi ?

Nous échangeons les formules de politesse, tout naturellement, comme des gens qui se rencontrent dans la rue. Ce nègre est fort bien élevé, il connaît les règles du savoir-vivre. Se peut-il qu’il soit fou ?… Il répond à mes questions avec la plus grande netteté.

— Il y a cinq ans que je suis entré ici… J’étais vigoureux alors, je marchais sur mes pieds. À présent ils ne peuvent plus me porter.

Il désigne ses pauvres jambes, maigres, enkylosées, des jambes mortes… À quoi bon cette chaîne ? Il ne saurait se sauver…

— Non, il n’est pas fou, me dit Si Bouchta, il est tranquille, obéissant, il ne réclame jamais… Autrefois, quand on nous l’amena, il avait des visions, il parlait la nuit. Maintenant il dort bien.

Mon esprit se déconcerte devant ce nègre impassible, qui ne me prie même pas d’intercéder pour son sort, comme s’il le jugeait irrévocable.

— A-t-il des parents ?

— Sa mère vient le voir chaque jour et lui apporte à manger.

— Que Dieu la conserve !

Je n’ose lui donner quelque espoir, lui dire que j’essayerai de faire intervenir le hakem, le médecin… À quoi bon troubler cette résignation, si j’échoue…