Page:Leo - Aline-Ali.djvu/46

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à cette tâche difficile ; j’y eusse consacré ma vie. Tu sais, Aline, ce qui arriva : Gaëtan me fut enlevé. M. de Chabreuil décida que l’héritier de sa maison ne devait pas rester plus longtemps aux mains des femmes. Il me l’enleva pour le remettre à un homme que je ne connaissais pas, et qui reçut contre moi le mot d’ordre de sa haine.

« Désormais, je ne pus voir mon enfant qu’à ses courtes récréations, obligée de disputer son attention à ses jouets, intimidée par la crainte de l’importuner, désespérée des fausses directions imprimées à son esprit, de la brutale inintelligence d’un système qui, sans pitié, froissait les besoins les plus légitimes de l’enfant, et compromettait sa santé.

« Tout ce que j’avais souffert jusque-là n’était rien devant cette violation de mon droit le plus sacré, le plus cher. Mais M. de Chabreuil agissait légalement. Les femmes ont reçu de la loi qui nous régit le droit de faire des enfants, mais non celui d’être mères !… »

La voix s’arrêta dans la gorge de Suzanne, et ses traits prirent une expression d’indignation et de haine si puissante, qu’Aline en frémit. Elle se jeta dans les bras de sa sœur.

« Ah ! lui dit-elle, je n’avais pas compris encore toute l’amertume de ton malheur ! Mais est-il possible ? Les lois sont-elles à ce point odieuses ? Les fils de la femme ont-ils pu violer ainsi la maternité ?

— Oui, reprit la marquise, cela est ainsi. D’abord je me dis comme toi : « C’est impossible ! » Non ! cet être formé par moi de mon sang et de mon âme, enfanté dans la douleur et au risque de ma vie, mon