Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/326

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malheur courageusement. Il leur reste le Fougeré, qu’elle prend pour sa dot, et un hôtel à Poitiers, qu’ils mettront en vente et qui sera la dot de ses filles. Elle s’occupe déjà de réduire les dépenses de la maison. On renverra le jardinier, dont Jean prend la place ; au lieu des quatre ou cinq plats qui couvraient la table, nous n’en avons plus que deux, bien suffisants. Édith est presque gaie. Elle, sa mère et moi nous causons affectueusement, tandis que Clotilde soupire et que Blanche, les yeux gros, ne peut manger. Cette pauvre enfant ne comprend pas la vie sans richesse ; elle ne se sent pas le courage de travailler ; elle pleure de ne plus avoir de chiffons à acheter ; elle s’irrite et sanglotte quand sa mère lui dit :

— Tu devrais t’habituer. Blanche, à faire ta chambre. Quand nous n’aurons plus Jean à la maison, la bonne ne pourra suffire.

Elle me fait pitié. Et vraiment, il faut la prendre en pitié pour lui pardonner un peu, quand elle entre en colère de me voir tenir ma parole et distribuer aux pauvres ce que j’ai promis. Elle jalouse pour sa corbeille le pain que ces misérables vont manger, ou plutôt, habituée à se renfermer dans le cercle le plus étroit, elle ne comprend qu’elle-même et ses propres besoins. Ces profonds moralistes, qui ont inventé l’antagonisme entre le cœur et l’intelligence, ne soupçonnent guère à quel point on rétrécit le cœur en rétrécissant l’esprit.

J’avais repris ma première résolution ; je voulais partir ; car dans ces nouvelles circonstances, M. Plichon lui-même ne pouvait exiger notre mariage, avant que j’eusse