Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/524

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par la fatalité[1]. — Ce qui paraissait devoir être favorable, se trouve ensuite avoir été funeste. Ce qui paraissait devoir être funeste, se trouve ensuite avoir été favorable. Que d’hommes passent leur vie en efforts insensés, pour discerner des apparences confuses, pour pénétrer des obscurités mystérieuses. Ne vaudrait-il pas mieux, ne pas craindre le malheur, ne pas désirer le bonheur, se mouvoir ou rester tranquille selon la nécessité, avec la conviction profonde que la raison n’y entend rien et que la volonté n’y peut rien. Quiconque a bien compris cela, doit l’appliquer à autrui comme à soi-même. S’il gouverne les hommes d’après d’autres principes, c’est un aveugle et un sourd volontaire, qui se jettera avec eux dans un fossé. — Récapitulons : La vie et la mort, la fortune et l’infortune, dépendent de la fatalité, de l’horoscope. Quiconque se plaint de devoir mourir jeune, d’être pauvre ou affligé, montre qu’il ignore la loi. Quiconque regarde la mort en face sans crainte, et supporte la misère sans plainte, montre qu’il connaît la loi. Les conjectures des prétendus sages, sur le plus et le moins, sur le vide et le plein, sur la chance et la malechance, ne donnent jamais aucune certitude ; après tous leurs calculs, le résultat sera positif ou négatif, sans qu’on sache pourquoi. Qu’on calcule ou qu’on ne calcule pas, il en adviendra de même. Le salut et la ruine ne dépendent en rien de la connaissance préalable. On est sauvé parce qu’on devait l’être, on périt parce qu’on devait périr.

H. Le duc King de Ts’i étant allé se promener au nord du mont Niou-chan, revenait vers sa capitale. Quand il la vit de loin, touché jusqu’aux larmes, il s’écria : Oh ! ma belle ville, si bien peuplée ! Pourquoi faut-il que, insensiblement, approche le moment où je devrai la quitter ?.. Ah ! si les hommes pouvaient ne pas mourir ! — Cheu-k’oung et Leang-k’iou-kiu, de l’escorte du duc, pleurèrent aussi, pour lui complaire, et dirent : Si à nous qui ne sommes que des écuyers, hommes de condition bien modeste, la pensée de la mort est pénible, combien plus doit-elle l’être pour vous, Seigneur ! — Le lettré Yen-tzeu qui accompagnait aussi le duc, éclata de rire. — Le duc le vit. Essuyant ses larmes, il fixa Yen-tzeu et lui demanda : alors que je pleure, et que ces deux hommes pleurent avec moi, qu’est-ce qui peut bien vous faire rire, vous ? — Je pense, dit Yen-tzeu, que si, conformément à votre désir, les hommes ne mouraient pas, les sages ducs Tai-koung et Hoan-koung, les braves ducs Tchoang-koung et Ling-koung, vos ancêtres, vivraient encore. S’ils vivaient encore, le plus ancien occuperait le trône, et vous, son descendant lointain, seriez sans doute occupé à garder quelque métairie. Ne devez-vous pas le trône au fait que, étant morts, vos ancêtres ne sont plus ici ? Par leur disparition successive, le trône a fini par vous échoir.

  1. Exorde inepte ; exercice de phrases parallèles.