Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/542

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sa jouissance personnelles, celui-là n’est pas un Sage. Celui qui fraternise avec les hommes et les êtres, cherchant et laissant chacun chercher son bien naturel, celui-là est un sur-homme, le plus supérieur de tous les hommes.

N. Yang-tchou dit : Quatre désirs agitent les hommes, au point de ne leur laisser aucun repos ; à savoir, le désir de la longévité, celui de la réputation, celui d’une dignité, celui de la richesse. Ceux qui ont obtenu ces choses, craignant qu’on ne les leur enlève, ont peur des morts, des vivants, des princes, des supplices. Ils tremblent toujours, en se demandant s’ils mourront ou s’ils vivront, parce qu’ils n’ont rien compris à la fatalité, et croient que les choses extérieures ont pouvoir sur eux, Il est au contraire des hommes, qui, s’en remettant au destin, ne se préoccupent pas de la durée de la vie ; qui dédaignent la réputation, les dignités, les richesses. Toujours satisfaits, ceux-là jouissent d’une paix incomparable, parce qu’ils ont compris que, tout étant régi par la fatalité, rien n’a pouvoir sur eux. — L’idéal taoïste, c’est l’exercice de l’agriculture dans l’obscurité, produisant ce qu’il faut pour vivre, pas davantage. Les anciens l’ont fort bien dit : l’amour cause une moitié des troubles des hommes, et le désir du bien-être cause le reste. L’adage des Tcheou, que les agriculteurs sont, dans leur condition, les plus heureux des hommes, est aussi fort juste. Ils travaillent depuis l’aube jusqu’à la nuit, fiers de leur endurance. Ils trouvent que rien n’est savoureux, comme leurs grossiers légumes. Leurs corps endurcis ne sentent pas la fatigue. Si on les obligeait à passer un jour seulement dans le luxe et la bonne chère des citadins, ils en tomberaient malades ; tandis qu’un noble ou un prince périrait, s’il devait vivre un jour en paysan. Les barbares, eux, trouvent que rien dans l’empire ne vaut ce qu’eux possèdent et aiment. La nature est satisfaite, quand elle a le nécessaire ; tous les besoins qui dépassent, sont superfétation, civilisation artificielle. — Jadis, dans la principauté Song, un campagnard absolument ignare des choses de la ville, avait passé l’hiver dans des guenilles à peine capables de le garantir de la gelée. Quand le printemps fut venu, il les ôta, pour se chauffer tout nu au soleil. Il trouva la chaleur si bonne, qu’il dit à sa femme : on a peut-être oublié d’en offrir à notre prince ; si nous le faisions, nous obtiendrions peut-être une bonne récompense. ... Un riche du pays lui dit alors : jadis un paysan offrit du cresson à un prince. Celui-ci en ayant mangé, en fut fort incommodé. Le pauvre paysan fut moqué par les uns, grondé par les autres. Prends garde qu’il ne t’arrive mésaventure pareille, si tu apprends au prince à se chauffer nu au soleil.

O. Yang-tchou dit : Un logement luxueux, de beaux habits, de bons aliments, de belles femmes, quand on a tout cela, que désirerait-on de plus ? qui désirerait davantage, serait un insatiable. Or les insatiables usent leur vie, comme bois ou papier rongé par les vers. Ils ne sont pas loyaux envers leurs princes, ni bons pour les êtres, étant égoïstes et malcontents. Ou s’ils le sont, ce n’est qu’en apparence, pour l’amour d’un vain renom de loyauté ou de bonté. — L’enseignement transmis par les anciens, c’est la paix entre les supérieurs et les inférieurs, et la concession mutuelle par tous des avantages congrus. — U-tzeu dit : supprimez l’amour de la réputation, et il n’y aura plus de chagrins. Lao-tzeu a dit : la réputation ne vaut pas la vérité, et cependant on court après elle plus qu’après la vérité. La réputation ne devrait, ni