Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/586

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des attributs, il ne serait pas le principe universel. Savoir s’arrêter là où l’intelligence et la parole font défaut, voilà la sagesse. À quoi bon chercher des termes impossibles pour exprimer un être ineffable ? Celui qui comprend qu’il a tout en un, a conquis le trésor céleste, inépuisable, mais aussi inscrutable. Il a l’illumination compréhensive, qui éclaire l’ensemble sans faire paraître de détails. C’est cette lumière, supérieure à celle de dix soleils, que jadis Chounn vantait au vieux Yao[1].


F.   Tout, dans le monde, est personnel, est subjectif, dit Wang-i à Nie-k’ue. Un homme couché dans la boue, y gagnera un lumbago, tandis qu’une anguille ne se portera nulle part mieux que là. Un homme juché sur un arbre s’y sentira mal à l’aise, tandis qu’un singe trouvera la position parfaite. Les uns mangent ceci, les autres cela. Les uns recherchent telle chose, les autres telle autre. Tous les hommes couraient après les deux fameuses beautés Mao ts’iang et Li-ki ; tandis que à leur vue, les poissons plongeaient épouvantés, les oiseaux se réfugiaient au haut des airs, les antilopes fuyaient au galop. Vous ne savez pas quel effet me fait telle chose, et moi je ne sais pas quelle impression elle produit sur vous. Cette question des sentiments et des goûts, étant toute subjective, est principiellement insoluble. Il n’y a qu’à la laisser. Jamais les hommes ne s’entendront sur ce chapitre. — Les hommes vulgaires, soit, dit Nie-k’ue ; mais le sur-homme ? — Le sur-homme, dit Wang-i, est au dessus de ces vétilles. Dans sa haute transcendance, il est au dessus de toute impression et émotion. Dans un lac bouillant, il ne sent pas la chaleur ; dans un fleuve gelé, il ne sent pas le froid[2]. Que la foudre fende les montagnes, que l’ouragan bouleverse l’océan, il ne s’inquiète pas. Il monte les nuées, enfourche le soleil et la lune, court à travers l’univers. Quel intérêt peut porter, à des distinctions moindres, celui à qui la vie et la mort sont tout un ?[3]


G.   Maître K’iu-ts’iao dit à maître K’iou de Tch’ang-ou : On affirme du Sage, qu’il ne s’embarrasse pas des choses de ce monde ; qu’il ne cherche

  1. Anecdote imaginaire. Coup de patte à deux parangons confucéistes.
  2. Métaphores qui furent prises au sens propre plus tard.
  3. Deux phases alternatives de l’existence.