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principes que la bonté et l’équité artificielles de Confucius ne sont pas des sentiments naturels à l’homme, car leur acquisition et leur exercice sont accompagnés de gêne et de souffrance. Ceux qui ont les pieds palmés ou des doigts de trop souffrent, quand ils se meuvent, de leur déficit ou de leur excès physique. Ceux qui posent, de nos jours, pour la bonté et la justice, souffrent de voir le cours des choses, soupirent de lutter contre les passions humaines. Non, la bonté et l’équité ne sont pas des sentiments naturels ; autrement il y en aurait davantage dans le monde, lequel, depuis tantôt dix-huit siècles, n’est que lutte et bruit. — L’emploi du quart de cercle et de la ligne, du compas et de l’équerre, ne produit les formes régulières qu’au prix de la résection d’éléments naturels. Les liens qui les attachent, la colle qui les fixe, le vernis qui les recouvre font violence à la matière des produits de l’art. Le rythme dans les rits et dans la musique, les déclamations officielles sur la bonté et l’équité destinées à influencer le cœur des hommes, tout cela est contre nature, artificiel, pure convention. La nature régit le monde. Par l’effet de cette nature, les êtres courbes sont devenus tels, sans intervention du quart de cercle ; les êtres droits, sans qu’on ait employé la ligne ; les ronds et les carrés, sans le compas et l’équerre. Tout se tient dans la nature, sans liens, sans colle, sans vernis. Tout devient, sans violence, par suite d’une sorte d’appel ou d’attraction irrésistible. Les êtres ne se rendent pas compte du pourquoi de leur devenir ; ils se développent sans savoir comment ; la norme de leur devenir et de leur développement étant intrinsèque. Il en fut ainsi de tout temps ; il en est encore ainsi ; c’est une loi invariable. Alors pourquoi prétendre ficeler les hommes et les attacher les uns aux autres, par des liens factices de bonté et d’équité, par les rites et la musique, cordes colle et vernis des philosophes politiciens ? Pourquoi ne pas les laisser suivre leur nature ? Pourquoi vouloir leur faire oublier cette nature ?... Depuis que l’empereur Chounn (vers l’an 2255) désorienta l’empire par sa fausse formule « bonté et équité », la nature humaine est en souffrance, étouffée par l’artificiel, par le conventionnel.

C.   Oui, depuis Chounn jusqu’à nos jours, les hommes suivent des appas divers, non leur propre nature. Le vulgaire se tue pour l’argent, les lettrés se tuent pour la réputation, les nobles se tuent pour la gloire de leur maison, les Sages se tuent pour l’empire. Les hommes célèbres, de condition diverse, ont tous ceci de commun qu’ils ont agi contre nature et se sont ruinés ainsi. Qu’importe la diversité du mode, si le résultat fatal est le même ? — Deux pâtres qui ont perdu leurs moutons, l’un pour avoir étudié, l’autre pour avoir joué, ont subi en définitive la même perte. — Pai-i périt pour l’amour de la gloire, et Tchee pour cause de brigandage ; motif différent, résultat identique. — Cependant l’histoire officielle dit de Pai-i que ce fut un noble caractère, parce qu’il se sacrifia à la bonté et à l’équité ; au contraire, elle dit de Tchee que ce fut un homme vulgaire, parce qu’il périt par amour du gain. Somme toute, le terme auquel ils aboutirent, ayant été le même, il n’y a pas lieu d’user, à leur égard, de la distinction noble et vulgaire. Tous deux ont fait le même outrage à leur nature, tous deux ont péri de même. Alors pourquoi louer Pai-i et blâmer