Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/678

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fit Lao-tan. S’agit-il de la bonté et de l’équité naturelles ? — Mais oui, dit Confucius ; de celles qui font l’homme. — Alors définissez, dit Lao-tan. — Aimer tous les êtres, et les bien traiter, sans égoïsme, voilà la bonté et l’équité, dit Confucius. — Et vous prêchez cela, étant ambitieux et égoïste, dit Lao-tan. Maître, si vous voulez vraiment du bien à l’empire, commencez par étudier l’influx invariable du ciel et de la terre, l’éclairage constant du soleil et de la lune, l’ordre parfait des étoiles, la stabilité dans les espèces animales et végétales ; constatez que tout, dans la nature, est suite et uniformité, le Principe pénétrant tout de son influence paisible. Vous aussi unissez votre influence à celle du Principe, et vous pourrez arriver à quelque chose. Cessez de vouloir introduire par force vos vertus artificielles et contraires à la nature. ... Un homme dont le fils s’était enfui fit battre le tambour pour qu’on lui donnât la chasse, au lieu de chercher à le ramener en douceur. Le résultat fut que le fugitif alla au loin, et ne put jamais être retrouvé. Vos efforts pour rappeler, à son de caisse, la bonté et l’équité dans le monde, auront, je le crains, le même résultat négatif. Maître, vous faites fuir ce qui reste de nature.


F.   Cheu-tch’eng-k’i, étant allé trouver Lao-tzeu, lui dit : Ayant ouï dire que vous êtes un Sage, j’ai fait un long voyage pour venir vous voir. J’ai marché durant cent jours, au point d’en avoir la plante des pieds calleuse, et voici que je constate que vous n’êtes pas un Sage. Car vous faites conserver indéfiniment les restes de vos repas ; vous avez maltraité votre sœur, parce que les rats avaient volé des restes de légumes. — Lao-tzeu, l’air distrait, le laissa dire, et ne répondit rien. — Le lendemain Cheu-tch’eng-k’i retourna chez Lao-tzeu et lui dit : Hier je vous ai blâmé. Votre silence m’a fait réfléchir. Je vous présente mes excuses. — Je fais aussi peu de cas de vos excuses que de vos blâmes, dit Lao-tzeu. Je me suis défait de tout désir d’être appelé savant, transcendant, sage. Vous me traiteriez de bœuf ou de cheval, que je ne répliquerais pas. Que ce qu’ils disent soit vrai ou faux, laisser dire les hommes, c’est s’épargner l’ennui de leur répondre. C’est mon principe de toujours laisser dire. Mon silence d’hier en a été une application. — Alors Cheu-tch’eng-k’i tourna autour de Lao-tzeu, en évitant de marcher sur son ombre ; puis, se présentant de front, il lui demanda ce qu’il devait faire pour s’amender. Lao-tzeu le rebuffa en ces termes : Être contrefait, dont tous les airs et gestes dénotent des passions indomptées et des intentions déréglées, prétends-tu m’en imposer et me faire croire que tu es désireux et capable de culture ? Va ! je n’ai pas plus de confiance en toi qu’en n’importe quel brigand des frontières.


G.   Lao-tzeu dit : Infini en lui-même, le Principe pénètre par sa vertu les plus petits des êtres. Tous sont pleins de lui. Immensité quant à son extension, abîme quant à sa profondeur, il embrasse tout et n’a pas de fond. Tous les êtres sensibles et leurs qualités, toutes les abstractions comme la bonté et l’équité sont des ramifications du Principe, mais dérivées, lointaines.