Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/684

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n’est autre chose que le Principe ; il pratiquera à l’occasion toutes tes bontés d’ordre inférieur, mais sans qu’elles lui ajoutent rien. Et ce n’est pas en partant de ces détails, qu’on définira bien, a posteriori, la bonté suprême ; mieux vaut la définir a priori, en partant du Principe.


C.   P’eimenn-tch’eng dit à l’empereur Hoang-ti : Quand j’ouïs exécuter votre symphonie Hien-tch’eu, près du lac Tong-t’ing, la première partie me fit peur, la seconde m’étourdit, la troisième me causa une sensation de vague, dont je ne suis pas encore remis. — Cela devait être, dit l’empereur. Cette symphonie renferme tout. C’est une expression humaine de l’action céleste, de l’évolution universelle. — La première partie exprime le contraste des faits terrestres qui arrivent sous l’influence céleste ; la lutte des cinq éléments ; la succession des quatre saisons ; la naissance et la décadence des végétaux ; l’action et la réaction du léger et du lourd, de la lumière et de l’obscurité, du son et du silence ; le renouveau de la vie animale, chaque printemps, aux éclats du tonnerre, après la torpeur de l’hiver ; l’institution des lois humaines, des offices civils et militaires, etc. Tout cela, ex abrupto, sans introductions, sans transitions ; en sons heurtés, suite de dissonances, comme est la chaîne des morts et des naissances, des apparitions et des disparitions, de toutes les éphémères réalités terrestres. Cela devait vous faire peur. — La seconde partie de la symphonie rend, en sons doux ou forts, prolongés et filés, la continuité de l’action du yinn et du yang, du cours des deux grands luminaires, de l’arrivée des vivants et du départ des morts. C’est cette suite continue à perte de vue qui vous a étourdi par son infinitude, au point que, ne sachant plus où vous en étiez, vous vous êtes appuyé contre le tronc d’un arbre en soupirant, pris du vertige et de l’anxiété que cause le vide. — La troisième partie de la symphonie exprime les productions de la nature, le devenir des destinées. De là des effervescences suivies d’accalmies ; le murmure des grands bois, puis un silence mystérieux. Car c’est ainsi que les êtres sortent on ne sait d’où, et rentrent on ne sait où, par flots, par ondes. Le Sage seul peut comprendre cette harmonie, car lui seul comprend la nature et la destinée. Saisir les fils du devenir, avant l’être, alors qu’ils sont encore tendus sur le métier à tisser cosmique, voilà la joie céleste, qui se ressent mais ne peut s’exprimer. Elle consiste, comme l’a chanté Maître Yen, à entendre ce qui n’a pas encore de son, à voir ce qui n’a pas encore de forme, ce qui remplit le ciel et la terre, ce qui embrasse l’espace, le Principe, moteur de l’évolution cosmique. Ne le connaissant pas, vous êtes resté dans le vague. Mes explications viennent de vous faire passer de ce vague à la connaissance du Principe. Conservez la précieusement.