Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/688

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E.   A l’âge de cinquante et un ans, Confucius n’avait encore aucune notion du Principe. Il alla alors à Pei, et visita Lao-tan. — Ah ! vous voilà ! dit celui-ci. C’est vous le Sage du Nord ? Que savez-vous du Principe ? — Rien, dit Confucius. — Alors, fit Lao-tan, pourquoi ne le cherchez-vous pas ? — Je l’ai cherché, dit Confucius, durant cinq années entières, dans les formules et les nombres, sans le trouver. — Et puis ? fit Lao-tan. — Puis, dit Confucius, je l’ai cherché, durant douze années entières, dans le yinn et le yang, également sans résultat. — Cela ne m’étonne pas, fit Lao-tan. Si le Principe pouvait se trouver ainsi, il figurerait depuis longtemps parmi les cadeaux qu’on se fait entre amis. La connaissance du Principe ne se trouve, ni ne se communique, si aisément. Elle suppose, en effet, que l’homme est parfaitement réglé. — Il ne faut pas vouloir accaparer la réputation à laquelle tant d’hommes prétendent. Il ne faut pas tirer à soi, exclusivement, les notions de bonté et d’équité, qui ont servi déjà à tant d’anciens. Il ne faut prendre de ces choses que sa part, et à son tour. Autrement l’on a tout le monde contre soi, car les autres aussi tirent à eux. Les anciens n’accaparaient rien. Ils ne tenaient qu’à une chose, à la liberté d’errer dans le vide, à la spéculation sans entraves, à être sans attaches et sans affaires. C’est ainsi qu’ils arrivaient à la connaissance du Principe, laquelle suppose ce détachement. Quiconque est lié par l’amour de la richesse, de la gloire, de la puissance, est trop distrait pour pouvoir même y tendre. Et, pour ce qui est du gouvernement, lequel doit consister à suivre exactement le mouvement de l’évolution naturelle, c’est à ceux qui sont droits qu’il appartient de rectifier les autres. De celui qui prétendrait rectifier autrui, n’étant pas encore droit lui-même, il faudrait dire que la raison n’a pas encore commencé à luire en lui[1].


F.   Une autre fois, Confucius ayant visité Lao-tan, lui exposa ses idées sur la bonté et l’équité. Ecoutez, lui dit celui-ci, les vanneurs n’y voient pas, à force de poussière ; quand les moustiques sont légion, impossible de reposer. Vos discours sur la bonté et l’équité me produisent un effet analogue ; j’en suis aveuglé, affolé. Allons ! laissez les gens tranquilles ! Croyez ce que vous voudrez, en théorie ; mais pratiquement, pliez au vent, acceptez les changements survenus dans le monde, ne battez pas la caisse pour rappeler le fils évadé (ce qui reste de l’antiquité ; comparez chapitre 13 E). Les oies sauvages sont naturellement blanches, les corbeaux sont naturellement noirs ; aucune dissertation ne changera rien à ce fait. Il en est de même des temps successifs, et des hommes de ces temps. Vos discours ne feront pas, des corbeaux d’aujourd’hui, des oies d’antan. Vous ne sauverez pas ce qui reste du

  1. Autant de soufflets ! Confucius ambitieux et intrigant, qui prétendait avoir seul le secret de la bonté et de l’équité ; qui cherchait à monopoliser, pour lui et ses disciples, le gouvernement des clefs et de l’empire ; etc.