Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/690

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monde antique ; son heure est venue. Quand les eaux se dessèchent, les poissons s’amassent dans les trous, et cherchent à sauver leur vie, en s’enduisant mutuellement des viscosités qui les couvrent. Pauvre expédient ! Ils auraient dû se disperser à temps, et gagner les eaux profondes. — Après cette visite, Confucius resta trois jours sans parler. Ses disciples lui demandèrent enfin : Maître, comment avez vous réfuté Lao-tan ? — En la personne de cet homme, j’ai vu le dragon, dit Confucius. Le dragon se replie visible, puis s’étend invisible, produisant le temps couvert ou le temps serein, sans que personne comprenne rien à sa puissante mais mystérieuse action. Je suis resté bouche bée devant cet homme insaisissable. Il est de trop forte envergure pour moi. Que pouvais-je dire pour le réfuter ?


G.   Alors, dit le disciple Tzeu-koung, cet homme ne serait-il pas le Sage, duquel on dit que retiré et silencieux il étend son influence partout, qu’il est puissant comme le tonnerre et profond comme l’abîme, qu’il agit comme le ciel et la terre ? Veuillez me permettre d’aller la voir. — Avec la permission de Confucius, Tzeu-koung alla donc trouver Lao-tan. Celui ci l’ayant toisé, lui dit : Je suis bien vieux et vous êtes bien jeune ! Qu’est ce que vous avez à m’apprendre ? — Tzeu-koung dit : Les trois grands empereurs et les cinq grands rois, n’ont pas gouverné de la même manière il est vrai, mais tout le monde les appelle Sages. Pourquoi vous seul leur refusez-vous ce titre ? — Approche mon garçon, que je te voie de plus près, fit le vieux Lao-tan. Ainsi tu dis que ces anciens n’ont pas gouverné de la même manière. — Sans doute, dit Tzeu-koung. Yao abdiqua. Chounn nomma U son successeur. U et T’ang firent la guerre. Wenn-wang céda au tyran Tcheou. Au contraire Tch’eng-wang le renversa. Ne sont-ce pas là des différences ? — Approche mon garçon, que je te voie mieux, fit derechef le vieux Lao-tan. C’est là tout ce que tu sais en fait d’histoire ? Alors écoute ! — Hoang-ti organisa son peuple en empire, ce en quoi il blessa la nature ; mais il se moqua du reste, même de ce que Confucius tient pour le plus essentiel, comme de pleurer ses parents défunts ; de son temps, qu’on fît des rites ou qu’on n’en fît pas, personne n’avait rien à y voir. — Yao contraignit son peuple aux rites du deuil pour les parents, mais se moqua du reste. — Chounn poussa à la reproduction. Par ordre, les femmes durent avoir un enfant tous les dix mois ; les enfants durent parler à l’âge de cinq mois, et connaître leurs concitoyens avant trois ans. Surmenage qui introduisit dans le monde les morts prématurées. — U pervertit complètement le cœur des hommes. Il légitima le meurtre, en déclarant que, à la guerre, on tuait des brigands, non des hommes, et qu’il n’y avait pas de mal par conséquent. Puis il s’empara de l’empire au profit de sa famille (le rendit héréditaire). Depuis lors le désordre alla en empirant. Il fut au comble, quand parurent les sectateurs de Confucius et de Mei-ti, qui inventèrent ce qu’ils appellent les relations sociales, les lois du mariage, etc. — Et tu dis que les anciens gouvernèrent l’empire. Non, ils le bouleversèrent. Ils ruinèrent, par leurs innovations, la base de toute stabilité, l’influence forte du soleil et de la lune, des monts et des fleuves, des quatre saisons. Leur savoir-faire artificiel a été plus funeste que le dard du scorpion, que la dent d’un fauve. Et ces hommes qui n’ont pas su reconnaître les lois de la nature et de la destinée humaine, prétendraient au titre de Sages ? ! Ce serait vraiment par trop d’impudeur ! — Devant cette sortie de Lao-tan, Tzeu-koung resta bouche bée et mal à l’aise.