Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/708

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C.   Confucius passant à K’oang, une troupe d’hommes armés de Song l’entoura de telle manière que toute évasion était impossible. Confucius prit son luth et se mit à chanter. Le disciple Tzeu-lou lui demanda : Maître, comment pouvez-vous être aussi gai, dans les circonstances présentes ? — C’est que, dit Confucius, j’ai fait ce que j’ai pu pour éviter pareille aventure ; elle m’arrive donc, non par ma faute, mais de par le destin. J’ai aussi fait ce que j’ai pu pour arriver à percer ; si je n’y ai pas réussi, ce n’est pas à cause de ma négligence, mais par suite du malheur des temps. Sous Yao et Chounn, aucun des Sages d’alors ne fut réduit à l’extrémité où je suis, non pas à cause de leur prudence plus grande, mais parce que le destin était alors favorable à tous. Sous Kie et Tcheou, aucun des Sages d’alors ne perça, non pas à cause de leur capacité moindre, mais parce que le destin était alors défavorable pour tous. ... Ne pas craindre les monstres marins est la bravoure des pêcheurs. Ne pas craindre les bêtes féroces est la bravoure des chasseurs. Ne pas craindre les sabres dégainés, regarder du même œil la mort et la vie, est la bravoure des guerriers. ... Savoir qu’aucun bonheur n’arrive qu’en son temps, que tout malheur est écrit dans le destin, et par suite ne pas craindre même devant le danger imminent, mais s’en remettre alors stoïquement à la fatalité, voilà la bravoure du Sage. You, attends un moment, et tu verras s’accomplir ce qui est écrit dans le destin de moi. — Quelques instants après que le Sage eut ainsi parlé, le chef des hommes d’armes s’approcha et dit : nous vous avions pris pour un certain Yang hou, que nous devions arrêter ; veuillez excuser notre erreur ... Et ils s’en allèrent[1].


D.   Koungsounn-loung le sophiste, dit au prince Meou de Wei : Étant jeune, j’ai d’abord étudié la doctrine des anciens souverains des traditions classiques ; ensuite j’ai approfondi la question de la bonté et de l’équité (confucéisme) ; puis j’ai scruté les similitudes et les dissemblances, les substances et les accidents, le oui et le non, le licite et l’illicite (logique, morale) ; j’ai été jusqu’au fond des théories et des arguments de toutes les écoles, et je croyais vraiment être très fort, quand voici que un certain Tchoang-tzeu m’a étourdi et troublé. Je ne sais si c’est défaut de ma dialectique, ou déficit de ma science ; mais le fait est que, moi le sophiste rhéteur, je suis resté bouche close devant lui, ne pouvant pas répondre et n’osant plus interroger. — Le prince Meou prit un siège, poussa un soupir, leva les yeux au ciel, sourit et dit : Savez vous l’histoire de la grenouille du vieux puits, et de la tortue de la mer orientale ? .. Combien je suis heureuse dans mon puits, dit la grenouille à la tortue ; je puis sauter sur la margelle, me blottir dans les trous entre les briques, nager à la surface, plonger dans la vase ; de tous les habitants de ce puits, larves, têtards, aucun n’en sait faire autant que moi ; aussi je préfère mon puits à votre mer ; essayez un peu de ses charmes. ... Pour complaire à la grenouille, la tortue essaya. Mais, une fois sa patte droite introduite dans le puits, il lui fut impossible d’y faire entrer la gauche, tant le puits était étroit, tant elle était large. Après avoir retiré sa patte, elle donna à la grenouille les renseignements suivants sur la mer. Elle a plus de mille stades de long. Elle est plus profonde que mille hommes montés l’un sur l’autre ne sont hauts. Au temps de l’empereur U,

  1. Cette pièce est la contre partie taoïste du texte des entretiens de Confucius IX 5. Confucius crut en réalité qu’il échapperait, parce qu’il se considérait comme l’arche destinée à sauver les rits et autres antiquailles. Ici, il l’espère pour des motifs de fatalisme pur.