Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/720

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pour conserver la vie, il suffit d’entretenir le corps. Il se trompe. Il faut de plus, et surtout, prévenir l’usure de l’esprit vital, ce qui est pratiquement impossible parmi les tracas du monde. Il faut donc, pour conserver et faire durer la vie, quitter le monde et ses tracas. C’est dans la tranquillité d’une existence réglée, dans la paisible communion avec la nature, qu’on trouve une recrudescence de vitalité, un renouveau de vie. Voilà le fruit de l’intelligence du sens de la vie. — Reprenons : C’est l’abandon des soucis et des affaires qui conserve la vie ; car cet abandon préserve le corps de fatigue et l’esprit vital d’usure. Celui dont le corps et l’esprit vital sont intacts et dispos est uni à la nature. Or la nature est père mère de tous les êtres. Par condensation, l’être est formé ; par dissipation, il est défait, pour redevenir un autre être. Et si, au moment de cette dissipation, son corps et son esprit vital sont intacts, il est capable de transmigrer. Quintessencié, il devient coopérateur du ciel[1].


B.   Lie-tzeu demanda à Yinn (Yinn-hi), le gardien de la passe, confident de Lao-tzeu : Le sur-homme pénètre tous les corps (pierre, métal, dit la glose) sans éprouver de leur part aucune résistance ; il n’est pas brûlé par le feu ; aucune altitude ne lui donne le vertige ; pour quelle raison en est-il ainsi, dites-moi ? — Uniquement, dit Yinn, parce qu’il a conservé pur et intact l’esprit vital originel reçu à sa naissance ; non par aucun procédé, aucune formule. Asseyez-vous, je vais vous expliquer cela. Tous les êtres matériels ont chacun sa forme, sa figure, un son, une couleur propre. De ces qualités diverses viennent leurs mutuelles inimitiés (le feu détruit le bois, etc.). Dans l’état primordial de l’unité et de l’immobilité universelles, ces oppositions n’existaient pas. Toutes sont dérivées de la diversification des êtres, et de leurs contacts causés par la giration universelle. Elles cesseraient, si la diversité et le mouvement cessaient. Elles cessent d’emblée d’affecter l’être, qui a réduit son moi distinct et son mouvement particulier à presque rien. Cet être (le Sage taoïste parfait) n’entre plus en conflit avec aucun être, parce qu’il est établi dans l’infini, effacé dans l’indéfini. Il est parvenu et se tient au point de départ des transformations, point neutre où pas de conflits (lesquels ne se produisent que sur les voies particulières). Par concentration de sa nature, par alimentation de son esprit vital, par rassemblement de toutes ses puissances, il s’est uni au principe de toutes les genèses. Sa nature étant entière, son esprit vital étant intact, aucun être ne saurait l’entamer. — Soit un homme absolument ivre. S’il tombe d’une voiture, il sera peut être contusionné, mais non tué. Pourquoi cela ? Ses os et ses articulations différent-ils de ceux des autres hommes ? Non, mais, au moment de la chute, l’esprit vital de cet homme, concentré par l’inconscience, était absolument intact. Au moment de la chute, vu son inconscience, l’idée de vie et de mort, la crainte et l’espoir, n’ont pas ému le cœur de cet homme. Lui même ne s’est pas raidi, et le sol ne lui a pas été dur, voilà pourquoi il ne s’est cassé aucun membre. Cet ivrogne a dû l’intégrité de son corps à son état d’ivresse. Ainsi le Sage parfait sera conservé intact par son état d’union avec la nature. Le Sage est caché dans la nature ; de là vient que rien ne saurait le blesser. — Cela étant, quiconque est blessé ne doit pas s’en

  1. C’est à dire, dit la Glose, qu’il passe de la catégorie des êtres influencés par le ciel et la terre, dans la masse influençante ciel et terre, dans le grand tout comme partie intégrante. Notion taoïste de la coopération avec le ciel, à comparer avec la notion indienne du retrait en Brahman.